
La programmation musicale, une histoire de règles et d’émotions
L’écoute de musiques est l’un des loisirs préférés des Français. La musique occupe une place de choix dans nos occupations au quotidien. Elle génère auprès de ses auditeurs une charge émotionnelle unique. Consommée de façon personnelle ou en groupe, la musique a des pouvoirs extraordinaires.
Construction d’une offre musicale : l’importance du contexte
La musique, un outil de communication et de partage
Chacun peut aujourd’hui créer ses propres playlists musicales via les nombreuses plateformes audio accessibles sur Internet. Disponibles à emporter partout en mobilité, tout le monde écoute aujourd’hui de la musique quand et où bon lui semble. Dans ce cas d’usage précis, il est question de “la musique plaisir”, la musique choisie et personnelle. Mais la musique peut être aussi un formidable outil de communication et de partage. Notamment lorsqu’il est question de programmation musicale dans un contexte de radio d’entreprise. Ici la musique s’adresse à un ensemble de collaborateurs dans le but de fédérer en interne. La planification doit être pensée pour faire augmenter l’adhésion à divers projets internes par exemple.
Créer un format musical, ce n’est pas simplement créer une playlist
Travailler sur l’identité musicale pour une communauté, c’est bien plus complexe que gérer la liste de ses titres préférés. Il existe des règles précises, qui vont bien au delà des simples mécanismes de création de playlists personnelles. La “vraie” programmation musicale, celle réalisée par les professionnels de la radio par exemple, est un subtile mélange de ressentis artistiques et de principes scientifiques. Toutes les radios musicales rencontrant du succès suivent certains points précis. Fabriquer une radio, c’est un peu comme réaliser une recette de cuisine, construire une maison… Ce qui est important c’est de savoir pour qui elle est faite, les ingrédients et matériaux que l’on va choisir, et la façon de les assembler. Seul un professionnel aguerri peut manier l’ensemble de ces données et besoins, et saura y apporter l’essentiel : l’émotion, la spécificité et le « petit plus » qui feront la différence. Notons également que la musique doit aussi être acompagnée d’une animation propre au format. Pour cela, des principes de coaching radio sont appliqués.
Les 3 grandes étapes pour fabriquer une radio musicale à succès
Étape n°1 : Bien définir sa cible
C’est la première réflexion à avoir. Pour créer un média musical, il faut avant tout avoir en tête l’audience visée. La pertinence (et donc la performance) de la playlist musicale dépendra de la capacité du programmateur à savoir correctement adresser son cœur de cible. La définition de l’auditeur “persona” va influencer naturellement l’ossature complète de la programmation musicale, et orienter le contenu des playlists.
Définir son audience, c’est faire le « portrait robot » de l’auditeur type :
- Le flux musical envisagé s’adresse-t-il spécifiquement aux hommes ? Ou bien plutôt aux femmes ? Est-ce que les jeunes adultes sont dans notre cible ?
- Quelles sont les catégories sociaux-professionnelles (CSP) visées ?
- Faut-il prendre en compte une situation géographique particulière ?
- Quelles sont les habitudes d’écoute de l’auditeur, et quels sont ses rapports avec les autres médias (autres radios, chaînes de TV, réseaux sociaux, plateformes musicales, …) ?
La planification doit ainsi être optimisée pour capter les auditeurs dits « favoris », ceux qui correspondent en tous points aux caractéristiques définies ci-dessus.
Étape n°2 : Établir le format
La définition du format dépend très fortement de la cible, qualifiée précédemment.
La construction par l’exclusion…
S’il y a une règle d’or à retenir c’est celle-ci : avant de lister ce qui sera en diffusion, on détermine avant tout ce qui doit être exclu de la planification musicale. Les professionnels ont même un proverbe pour justifier cette approche : “Il est moins grave de ne pas programmer un titre fort que d’en programmer un faible”. Cette étape consiste donc à identifier les époques, les genres musicaux et les artistes à NE PAS PROGRAMMER. Préparer la discothèque en procédant par l’exclusion de ce que l’on ne souhaite pas intégrer permet ensuite une phase de construction plus simple, avec une base plus « saine ».
- Quelles époques (tranches d’années de sortie de titre) paraissent inadéquates pour le format musical visé ? En fonction de la cible choisie, et l’âge médian des auditeurs, des titres plus ou moins vieux sont à exclure.
- Quels sont les genres musicaux qui ne plairont jamais à l’auditeur “favori” ? Rassembler des auditeurs sur une promesse de genre musical est capitale. Chacun écoute telle ou telle radio musicale parce qu’elle diffuse un style de musique particulier. Notons qu’il peut exister autant de formats musicaux qu’il existe de genres musicaux eux même. Rock, pop, variété francophone, jazz, hip-hop, slows only, rap… C’est à l’appréciation du programmateur de classer des titres dans une catégorie plutôt qu’une autre. A noter que certains genres peuvent être compatibles entre eux (comme le rock et la pop ou bien le R’n’B et le Latino).
… puis identifier et catégoriser les titres à jouer, pour constituer sa discothèque et des playlists idéales
Après avoir défini ce qui est hors cadre de la programmation, il faut définir les époques (60’s, 70’s, …) et les styles (rock, pop, variété, soul, …) préférés de l’audience cible. Reste ensuite à définir le rythme : quelle ambiance, quelle teneur de la programmation à apporter ? Faut-il un ensemble qui “donne la pêche” (“happy mood”), ou bien qui rappelle les vacances au soleil par exemple ? Reste ensuite à classer les différents titres à faire rentrer en programmation. En général, une base de données mise à jour régulièrement contient :
- 40 à 60 titres “nouveaux”, qualifiés en “hits”
- Environ 150 titres “gold”, des musiques sorties il y a plusieurs années mais toujours assez populaires pour qu’elles soient écoutées aujourd’hui
- Une centaine de titres « satellites » (ni “gold” ni “hits” mais en phase avec la couleur dominante du format musical recherché)
Etape n°3 : Adapter les bonnes techniques de la programmation musicale
Une fois la discothèque établie, quelques règles plus scientifiques s’appliquent afin de faire vivre la musique sous forme de programmation adaptée au format recherché. S’impose alors le calcul de la récurrence des titres joués. Faut-il mettre des titres en forte rotation (avec comme objectif de diffusion toutes les deux heures, s’appliquant principalement pour les “hits”) ? Et certains autres juste quelques fois par semaine (titres “gold” et “satellite” en général) ? L’objectif est ainsi de définir des “poids” pour chaque titre, afin d’apporter subtilement de la puissance à la programmation, sans rédondance. C’est à dire qu’il faut chercher à proposer les meilleurs titres possibles au maximum d’auditeurs, mais avec une diversité de sons suffisante. Cet article d’Aubedience donne plus de détails sur les principes de rotations d’une programmation musicale.
Trois critères indispensables au succès d’une programmation musicale
Une programmation musicale diffère d’une liste de lecture générée par des algorithmes par son appréciation sur le rendu général des musiques qui s’enchaînent. Une subjectivité non modélisable permettant de qualifier comment les auditeurs vont percevoir ces mix, les associations d’artistes de musique, d’ambiance…
Critère n°1 : L’émotion
L’émotion est le critère absolu sur n’importe quel format musical. L’auditeur doit se sentir touché et personnellement impliqué par ce qu’il écoute ou entend. D’où l’importance de chaque titre programmé et les valeurs qu’il véhicule sur la cible visée. En écoutant une chanson, l’auditeur peut par exemple penser :
- “Je me souviens de ce titre, quand j’étais étudiante…”
- “Mon premier coup de foudre c’était en entendant ce titre”
- “Mes enfants écoutent ce titre, ils ont raison c’est bien. Et ça me fait rester dans le coup !”
- “Qu’est-ce que j’adore danser sur ce hit”
Ce sont les les univers, les époques, les paroles, et les rythmes en commun qui font qu’au fil de l’écoute, l’audience connait un déroulé de divers sentiments, de diverses perceptions. C’est cet enchaînement spécifique de ressentis qui va donner ce caractère émotionnel à l’ensemble du flux musical. Ainsi, un titre qui ne procure aucun sentiment à l’auditeur sera qualifié de “bancal”, car il est amené à décevoir l’auditeur.
Critère n°2 : L’affinité
C’est la part de « familiarité » qu’un auditeur a en écoutant sa radio. Ses artistes « totem » et chansons préférées lui confèrent une sorte de bulle, un cocon dans lequel il se sent bien. Les titres connus par l’auditeur le rassurent, il peut les fredonner et les rattacher à quelque chose qui lui est personnel. Les artistes et leurs titres étant régulièrement testés auprès de la cible de favoris, les scores d’affinité permettent de déterminer les rotations de chaque titre. Plus une musique aura un score d’affinité élevé, plus sa rotation sera forte (diffusée plus souvent).
Critère n°3 : La spécificité
On pourrait ainsi croire que rien n’est laissé au hasard dans une telle programmation musicale, que tout est “calculé”. En réalité, chaque programmateur utilise une part de créativité, d’aspect artistique à sa planification. Il faut apporter “sa touche” à la playlist, pour lui donner une raison d’être. Même s’il existe un socle commun à différents formats de radio musicale, il est très important d’avoir en diffusion ses propres particularités. Elles peuvent être basées sur des choix délibérés d’artistes ou de titres, une volonté de proposer des « cassures » de rythme, ou encore mettre en avant ce qui est considéré personnellement comme une « pépite musicale ». Par exemple sur un format Pop-Rock, certains titres dits « satellites » peuvent être un marqueur de la radio. Au milieu de titres testés, très connus et totalement en phase avec le « format », il est intéressant d’insérer un titre « disrupteur » que ce soit dans le genre, l’époque ou le rythme. Ainsi on peut proposer un format spécifique type “radio pop rock qui diffuse des titres d’époque 90’s à 2020, avec dans chaque heure une musique rock des 70’s”. Cependant, ces écarts spécifiques de programmation doivent être cohérents, récurrents, et identifiés des auditeurs. Il faut aussi s’assurer que les auditeurs sont « prêts » à apprécier cette entorse au format pur initial.
Pour plus d’informations…
Cet article est écrit par Didier Bouchend’homme, directeur des programmes musicaux du pôle Business de Mediameeting. Ce spécialiste de la planification musicale a de nombreuses années d’expérience en radio (il a travaillé pour NRJ Group, Lagardère, …). Aujourd’hui, il créé des programmations musicales sur mesure pour des médias audio d’entreprise.