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Épisode
10 octobre 2025 - 0min
Le 23 septembre dernier, c'était la journée de la visibilité bisexuelle. L'occasion de se pencher sur l'histoire du militantisme bisexuel en France. C’est justement ce que propose la militante Stéphanie Ouillon dans son dernier livre : “Quelle bisexualité radicale ? : Sur les traces de la bisexualité politique en France”,...
Le 23 septembre dernier, c'était la journée de la visibilité bisexuelle. L'occasion de se pencher sur l'histoire du militantisme bisexuel en France. C’est justement ce que propose la militante Stéphanie Ouillon dans son dernier livre : “Quelle bisexualité radicale ? : Sur les traces de la bisexualité politique en France”, paru le 3 octobre dernier aux éditions Tahin Party. Elle est également artiste et créatrice du média la newsletter bie. Nous avons rencontré quelques problèmes techniques lors de l'enregistrement de cet épisode, le voici donc retranscrit ci-dessous ! Tu définis la bisexualité comme “l'attraction sexuelle et ou romantique pour plus d'un sexe ou genre”. Tu l’utilises aussi comme terme parapluie pour englober d'autres termes comme la pansexualité, l'homosexualité par exemple. Qu'est ce qui a motivé ce choix? Stéphanie Ouillon : Dans la communauté, il y a pas mal de débats sur comment on se définit en tant qu'individus. Moi, j'ai un parti pris assumé, qui n'appartient qu'à moi, c'est d'utiliser le terme bisexuel parce que historiquement c’est l’un des premiers qui a été utilisé, qui a été visible aussi l'identité politique. Et puis c'est un terme aussi qui a beaucoup évolué depuis son apparition dans notre langage. Je trouve que c'est très intéressant de pouvoir continuer à voir son sens se muter et intégrer plein de réalités et de pratiques et de comportements érotiques et sexuels — romantiques aussi, sans forcément avoir une définition hyper précise, ce qui est un enjeu aujourd'hui dans certaines disciplines, notamment scientifiques. Il y a aussi des débats au sein de la communauté LGBT+ : est-ce qu’il faut dire bi ou pan ? Est ce que le terme “bi” renforce la binarité de genre ? Moi je décide de m'abstraire de ça, je préfère m'intéresser à la portée des comportements bisexuel, pansexuel, plurisexuels de manière générale, et à leur portée politique. Dans le livre, tu retraces une partie de l'histoire du militantisme bisexuel en France, ou plutôt comment la bisexualité s'est intégré au militantisme radical. On remonte aux années 70 et aux débuts de la politisation du mouvement homosexuel, jusqu'aux années environ 2010 avec le mouvement TPG. Quelles sont tes sources ? J’ai d’abord plongé dans les archives du FHAR, le Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire, qui est un des premiers, si ce n'est le premier groupe mouvement politique autour de l'homosexualité en France. La première archive où j'ai entendu parler de bisexualité, c'était dans le documentaire de Carole Rossopoulos sur le FHAR. On entend une personne qui prend la parole dans un amphi et dit que politiquement, il vaut mieux se revendiquer l’homosexualité que la bisexuqlité. Et après, j'ai creusé. Je suis allée voir un livre qui s'appelle Rapport contre la normalité, qui est un recueil qui a été publié en 1971 et qui regroupe des articles et des textes qui ont été écrits et édités par le FHAR, dans un journal de gauche qui s'appelait Tout. On y trouvais pour la première fois quatre pages dédiées à l'homosexualité. Ce sont les premières archives où vraiment j'ai trouvé les mots bisexualité et bisexuel cités en tant que pratique, et c’étaient plutôt des textes à charge. Donc moi j'ai voulu essayer de comprendre pourquoi, dans un corpus de textes où par ailleurs les bisexuels n'ont pas l'air de prendre la parole elleux-même, pourquoi les militants militantes du HAR étaient aussi remontés contre la bisexualité et contre les bisexuels. Et pour ça, j'ai été voir les archives de la principale revue qui publiait des textes dits homophiles à l'époque qui s'appelle “Arcadie” créée en 1954. Et j'ai décidé d'aller explorer. J'ai décidé de commencer en 1967, un petit peu avant mai 68, quand il y a les premiers slogans et les premières revendications homosexuelles révolutionnaires pour comprendre ce qu'on disait à l'époque : qu'est ce qui peut être pouvait circuler entre personnes homosexuelles, entre militants et militantes sur la bisexualité. Et alors quels étaient les discours sur la bisexualité dans ces milieux ? Dans la revue Arcadie, il y a un auteur qui s'appelle Daniel Guérin, qui est surtout connu pour son travail sur l'anarchisme et qui, lui, se revendique ouvertement bi. En tout cas à l'époque, il prend plusieurs fois la parole, il écrit plusieurs articles dans dans la revue Arcadie, où il défend très ouvertement la bisexualité. On peut aussi lire un entretien qui est mené par la célèbre militante écoféministe Françoise d'Eaubonne, qui a été à la rencontre d'un couple d'hommes qui vit ensemble depuis des années et qui refuse de se dire homosexuel. Et même si elle est suspicieuse quant à la bisexualité, ce qui est super c’est qu'elle retranscrit l'entretien, elle donne la parole à deux personnes qui se disent bies, des hommes qui racontent comment ils sont aussi sortis avec des femmes, tout allait bien, et puis ils se sont rencontrés et puis au bout d'un moment, ils se sont rendu compte qu'ils étaient amoureux… Dans les fameuses pages du journal Tout dont je parlais, il y aun lexique, ave cla définition du mot “bisexuel”, une définition satisfaisante, je cite : “qui aime à la fois avec leur propre sexe et avec l'autre. Ne peuvent jamais l'être totalement dans la société actuelle : normale, naturelle, famille, merde.” Donc je pense que la personne qui a écrit était bisexuelle. Et puis un peu plus tard, on va croiser des bisexuels dans les fanzines TPG des années 1970, mais ce sera surtout dans le courrier des lecteurices. Donc les bis ne sont jamais en pleine lumière, ne font jamais l’objet d’une pleine pageou d’une une… Dans la revue Arcadie, entre 1967 et 1974, sur 1100 articles, il n'y en a qu'un seul où le mot bisexualité apparaît dans le titre. Il y a une deuxième occurrence, toujours pendant la période du FHAR : c'est un article qui parle de la bisexualité arabe. C’est une des rares fois où des homosexuels mobilisent la notion de “bisexualité”, ce qui n’est pas anodin. En 1981, dans la Revue d’En-Face, on a un dossier qui parle, je cite “de diverses attitudes féministes face à la question masculine”, où un article défend la bisexualité comme politique viable, dans un contexte de forte opposition entre les lesbiennes radicales et les féministes du MLF. Les hommes bis et les femmes bies sont-iels logé.e.s à la même enseigne ? En 1967, Dominique d’Alleyrac publie le livre Dossier homosexualité, assez bien reçu par la critique des Arcadiens : il passe en revue les discours médicaux et scientifiques de l'époque sur l'homosexualité et également sur la bisexualité, qu'il nomme plutôt “hermaphrodisme psychosexuel” (un héritage de l’histoire sémantique de la bisexualité). D’Alleyrac mène aussi certains entretiens avec, avec sur le terrain, avec des personnes bi. Il y a un entretien avec un couple, un homme et une femme, qui sont aussi bi tous les deux et qui ont des relations à en dehors de leur couple. L’idée c’est que chez les hommes, la part “déviante” de leur sexualité va prendre le dessus tôt ou tard. Donc ça veut dire que les hommes bisexuels vont finir en homosexuels. Pour les femmes, c’est différent. Une femme bie, c’est mieux que l’homosexualité exclusive : ça veut dire qu'elle n'est pas 100 % frigide, et ça la rend toujours disponible pour la maternité et pour les hommes au sein du mariage. Donc les hommes bis seraient des gays refoulés, et les femmes bies seraient récupérables par le patriarcat. On retrouve ces mêmes arguments du côté du FHAR quelques années plus tard. Dans son Manifeste gay, le militant homosexuel Carl Wittman dit en somme : la bisexualité, pourquoi pas, mais aujourd’hui, on a besoin de revendiquer l’homosexualité. Parce qu'il faut aussi dire et bien garder en tête qu'à l'époque, c'était ce qui était réprimé, voire pénalisé. Donc ça fait sens, mais ça a dit aussi qu'il faut reléguer la part hétérosexuelle, entre gros guillemets, de la sexualité bie, car ce serait la seule façon de déconstruire les normes et pouvoir avoir des relations égalitaires. Si on reste à avoir des relations dites hétéro, on ne peut pas déconstruire ses propres normes. Et l'argument qui est proposé par les homosexuels, c'est qu’on ne peut lutter contre le patriarcat qu'en en sortant, qu'en ayant des relations d'abord entre hommes et entre femmes. Et quand on aura appris à interagir différemment et qu'on aura démantelé le patriarcat, alors on pourra avoir une bisexualité “dérivée de l'homosexualité”, comme le dit Guy Hocquenghem. Comme si la bisexualité était utopique ? Exactement. Le sociologue australien Steven Angelides parle lui-même de “bisexualité utopique”, il étudie à quel point la bisexualité a été remise à plus tard, invisiblisée, et conçue comme “utopique” tout au long de l’histoire des mouvements homosexuels. Dans le livre, tu parles de “bisexualité radicale”, ce qui permet de poser non pas la question de avec qui on relationne, mais de comment on relationne. Dans le sens où on peut vivre des relations hétérosexuelles de manière non-hétéronormée, et qu’à l'inverse, on peut vivre des relations homosexuelles hétéronormées. Le message de la bisexualité radicale, c'est de nous mettre en garde contre l'hétéronormativité qui peut frapper tout le monde finalement ? Oui! Dans mon livre, je cite Pierre Niedergang, auteur de Vers la normativité queer. Il attire l'attention justement sur la tendance dans les milieux queer à déprécier tout ce qui va ressembler à une “soumission à la norme”, qui va être entendue comme hétérosexuelle, reproductive et néolibérale. Et lui, il dit : attention, il peut y avoir des manières queers d'habiter les normes, on le voit avec les parentalités queers, par exemple. Et moi je pense qu’on peut investir la sexualité hétéro de manière queer. Ensuite, il y a effectivement la question de comment on relationne. Moi j’aime beaucoup ce que dit Doucha Belgrave, je cite : « Bisexuelle on me rappelle : ambiguïté pour le moins, compromission de toute façon. Moi je dis : côtoyer des êtres humains dont les comportements ne sont plus toujours conditionnés par leurs sexes. Regarder. Choisir. Parmi des individus/ues : trouver mon compte sans m’en raconter. J’ai refusé les prescriptions selon lesquelles je ne devais aimer que des hommes. Je refuse de nouvelles normes ». On parle beaucoup du choix lesbien, et moi j’ai envie de parler du choix bisexuel. Je ne vais pas choisir de relationner en fonction de son genre, mais parce qu’il y a des choses qui chez cette personne m’attirent, etc. Bien sûr, il ne s’agit pas de nier la force des normes sociales, de la culture, de tout ce qu'on nous a appris… Être féministe et bisexuel, c’est le travail de toute une vie. Mais on peut rencontrer des personnes, tout au long de notre vie, qui indépendamment de leur genre sont dans cette démarche-là, de créer des relations saines et sans domination. Et pour moi ça s'inscrit dans le cadre plus large d'un horizon libertaire. Tu parles aussi de la dificulté à nommer certains comportements comme bisexuels. Il y a une interview du comédien Artus qui date de décembre 2024 dans le magazine Têtu. Il raconte : “Tom Hardy lui, il vient, je lui roule une énorme pelle. Il a cette masculinité, ce côté un peu bestial que je trouve attirant.” Et en fait, à aucun moment on va qualifier l'artiste de bisexuel. Le journaliste préfère parler d’hétéro-curiosité. Ca renvoie encore une fois la bisexualité à une phase, à quelque chose de temporaire. Changer notre rapport au genre dans les relations, c'est quelque chose qui peut être très radical. Notamment pour des gens dont le rapport au genre peut fluctuer, ou les personnes non-binaires. Qu’est-ce que la visibilisation des questions trans change à la perception de la bisexualité ? La militante bie et genderqueer israélienne Shiri Eisner en parle dans un livre qui n’est toujours pas traduit en français. Il y a des points de contact entre les vécus bis et les vécus trans, sans nier la transphobie chez les personnes bies et la biphobie chez les personnes trans. Présentation : Mal et Adrien Montage : Adrien Musique de fin : POW3RBTTM, Power Beau Tom
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